jeudi 27 novembre 2014

Prix du pétrole : quatre facteurs derrière le baril à 75 dollars

Par Pierre-Olivier Rouaud - Publié le 18 novembre 2014, à 16h31 Improbable il y a peu encore, la baisse des cours du pétrole semble s’installer dans l’économie mondiale. Tentative d’explications. En matière de cours du pétrole, les prévisions sont hasardeuses, car souvent démenties par les faits. Ceux qui pariaient sur une hausse continue peuvent revoir leurs modèles. A moins de 75 dollars pour le WTI (West Texas intermediate, brut américain de référence), les cours viennent de plonger de plus de 25% en 6 mois. Une situation qui pourrait durer. Avec des effets en cascade. Le FMI vient d’estimer que ce contre-choc allait soutenir la reprise mondiale soulageant la balance commerciale de l'Europe mais aussi de pays comme le Japon, la Turquie ou le Maroc. A l’inverse au sein de l’OPEP, certains pays comme l’Iran ou le Venezuela s’alarment du désastre ainsi créé pour leurs économies et budgets publics. Le club des pays producteurs doit tenir une réunion clé le 27 novembre à Vienne, et certains pays membres pourraient y réclamer une baisse de production. Quant à la méga fusion annoncée lundi 17 novembre entre Haliburton et Baker Hughes, elle anticipe sans doute un période plus rude pour les géants du parapétrolier L’or noir vaut aujourd’hui la moitié de son prix record absolu, 147 dollars atteint mi-juillet 2008. Le cours du baril (ou plutôt les cours car il existe des dizaines de cotations suivant les qualités d’huile) résulte de la conjonction complexe de facteurs techniques, économiques, géopolitiques et financiers. Tentative d’explications. Le facteur monétaire Le premier facteur de baisse n’a rien à voir avec l’économie des hydrocarbures mais est lié à la politique monétaire américaine et notamment le fameux QE (Quantitative easing). Aux Etats-Unis, la vigueur de la croissance et du marché de l’emploi, vient de pousser le Fed à mettre fin en octobre à ce programme de rachat d’actifs, en clair de création monétaire, déjà ralenti depuis quelques mois. Le "QE" a eu pour effet (recherché) de faire baisser les taux longs tout en générant d’énormes quantités de liquidités, 4 480 milliards de dollars en six ans. Mais cette masse d’argent disponible à bon compte a eu pour effet induit d’alimenter la spéculation sur les marchés de matière première ces dernières années et donc de soutenir les cours. La mise à l’arrêt de la planche à billet produit mécaniquement un effet dépressif sur les prix d’un grand nombre de commodités cotées sur les marchés: cuivre, aluminium, nickel et à commencer par la plus importante, le pétrole. La rapidité de la chute des cours sur quelques mois seulement peut s’expliquer ainsi. Le facteur technologique et industriel La période de prix élevés durant les années 2000 (le fameux "super cycle") a déclenché une vague d’investissements et d’avancées techniques sans précédent : huile et gaz de schiste américain, sables bitumineux de l’Alberta, pré-sal brésilien, offshore africain… Un peu ralentis par la crise financière de 2008/2009, nombre de ces projets sont désormais arrivés en phase de croisière. Dopant l’offre. Cas le plus emblématique : le regain des Etats-Unis. L’Amérique, on le sait, a choisi, à grand coup de fracturation hydraulique et autres forages horizontaux, de développer à grande échelle les pétroles non conventionnels (shale oil) notamment pour limiter sa dépendance au Moyen-Orient. En 2013, les héritiers du colonel Drake ont pompé en moyenne 7,5 millions de barils/jour du sous-sol américain… contre seulement 5 millions en 2008. Résultat ? La production américaine, en déclin depuis des décennies, se rapproche, désormais, peu à peu de ses records de 1970 (9,5 millions de barils par jour). Revers de la médaille ? Si les prix restent durablement modérés, nombre de ces projets "nouvelle vague" très coûteux (jusqu’à 75 ou 80 dollars par baril) deviendraient peu ou pas rentables. Ils seraient alors soit retardés soit mis sous cocon, ce qui pèserait sur l’offre selon un cycle bien connu. C’est déjà ce qu’on observe pour certains projets dans les sables bitumineux : en Alberta, Statoil a suspendu un projet à plusieurs milliards de dollars en septembre . Le facteur économique La demande globale de pétrole reste l’arbitre clé des élégances sur les prix. Or celle-ci a peu progressé ces dernières années. En cause ? La médiocre croissance en Europe et au Japon et surtout le ralentissement de la croissance chinoise. Depuis 2012 celle-ci pointe juste au-dessus de 7% par an contre 9 à 10% jusque-là. La demande chinoise de pétrole, un peu moins de 10 millions de barils par jour, joue un peu au yoyo (elle a progressé fortement en octobre) mais depuis le début d’année, sa hausse est faible, autour de 2% A cela s’ajoutent d’autres facteurs dépressifs de la demande comme les mesures d’économie d’énergie prises dans les pays de l’OCDE ou encore le développement des énergies renouvelables. Par ailleurs aux Etats-Unis, on note pour certains usages un effet de substitution du pétrole par le gaz naturel depuis l’explosion de la production de gaz de schiste abondant et peu cher. Résultat, selon le Department of energy (DOE) américain la demande mondiale de pétrole n’a progressé que de 1,5% en 2013. Cette année, ce chiffre devrait être d’à peine 1%. Pour 2015, le DOE table sur une demande en hausse d’environ 1,2%. Au rythme actuel de production, un peu moins de 92 millions de barils par jour (soit pour rappel plus de 4 milliards de tonnes par an ou encore 12 000 navires super tankers remplis à ras bord), l’offre couvre sans souci la demande. Les stocks mondiaux sont même en légère hausse. En clair, il y a du pétrole à gogo. "Nos prévisions d'offre et de demande montrent que, sauf nouvelle rupture d'approvisionnement, la pression baissière sur les prix pourrait s'accentuer au cours du premier semestre de 2015", vient d’annoncer l'Agence internationale de l’énergie dans son rapport de novembre Le facteur géopolitique Et pour partie contre intuitif. En effet, les très fortes tensions au Proche et Moyen-Orient ou encore l’implication dans la crise ukrainienne de la Russie (deuxième producteur mondial juste derrière l’Arabie saoudite) devraient propulser les prix vers des sommets. Il n’en est rien car les facteurs "bearish" (baissiers) l’emportent à commencer par l’abondance de l’offre (cf plus haut). Comme toujours dans ces périodes de transition, chacun des acteurs du marché joue aussi sa partie en prévision du coup suivant, par exemple l’Arabie saoudite dont l’abondance de l’offre pèse sur les cours. Pour Ryiad, qui dispose à la fois de réserves facilement mobilisables et de coûts de production au ras du désert, un prix bas permet de limiter la progression de l’offre additionnelle notamment les huiles non conventionnelles nord-américaines. Objectif : maintenir ses parts de marché à moyen terme. Et aussi au passage de faire souffrir son ennemi intime, l’Iran. Ceci même si le ministre saoudien du Pétrole, Ali al-Nouaïmi, a récusé de la part du royaume toute "guerre des prix" qualifiant cette idée de "conjectures grotesques et inexactes", selon l’AFP. Lors de la réunion du 27 novembre à Vienne, les observateurs s’attendent à ce que l’OPEP maintienne son plafond de production à 30 millions de barils/jour. Mais sans le réduire. A noter aussi à propos de l'Iran qu'un accord définitif de Téhéran avec la communauté internationale à propos de son programme nucléaire serait de nature à faire chuter la tension régionale... et donc les cours du brut. D’autres épisodes géopolitiques "mineurs" jouent aussi sur l’offre. Ainsi cette année la reprise inattendue de la production libyenne a alimenté à bon compte en brut léger les raffineries d’Europe. Cela a contribué à réduire presque à zéro le différentiel actuel de prix entre la cotation du WTI américain et celle du Brent européen quand ce "spread" culminait à près de 30 dollars en 2011 ! Conclusion, dans l’alignement des planètes de la galaxie or noir tout est en place aujourd’hui pour plomber les cours. Durablement ? Une question à 2 400 milliards de dollars, la valeur du marché pétrolier mondial, à laquelle on ne se hasardera pas à répondre. Pierre-Olivier Rouaud http://www.usinenouvelle.com/editorial/prix-du-petrole-quatre-facteurs-derriere-le-baril-a-75-dollars.N297726

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