vendredi 13 janvier 2012

Le DAF, plaque tournante de l’information stratégique


FJ - 11/05/2011


Pierre-Larrat
Pour passer à l’offensive, faut-il oublier les analyses de bilans et la lecture des indicateurs traditionnels du DAF ? Pas tout à fait, concède le spécialiste de l’intelligence économique Pierre Larrat, également dirigeant de PME. Mais il faut les compléter par la recherche de nouveaux indicateurs tournés vers la prévision, et orchestrer la mobilisation des collaborateurs autour de la remontée d’informations utiles pour la performance économique de l’entreprise.
New-CFO : Après avoir enseigné l’intelligence économique et notamment la veille concurrentielle pendant des années, vous voilà à la tête d’une PME (*). Le passage à la pratique est-il évident ?
Pierre Larrat : Non, évidemment. J’ai joué au docteur pendant des années, désormais je fais le pompier. En tant que dirigeant, je suis confronté à la dure réalité de la mise en place d’une stratégie d’intelligence économique efficace. Ou plutôt – puisque nous continuons d’avoir un problème avec ce terme d’intelligence qui n’évoque le renseignement que dans la langue anglaise – à la nécessité de donner du sens aux informations que nous sommes tous amenés à recueillir.
Car il faut bien sûr rappeler que l’intelligence économique n’a rien d’une activité de barbouzes ! Quatre-vingt-dix pour cent de l’information intéressante est disponible. Il faut certes aller plus loin que la simple utilisation de Google ou, au moins, savoir le paramétrer correctement pour accéder aux données « grises ». Mais il y a des pratiques assez simples à mettre en place avec les collaborateurs. Par exemple, leur demander de remplir des « fiches d’étonnement », lorsqu’ils sont surpris par un fait ou des déclarations.
New-CFO : Dans un ouvrage collectif que vous avez supervisé en 2008 (**), vous écriviez que la direction financière a une prédisposition naturelle à l’intelligence économique stratégique ?
Pierre Larrat : Absolument. Le DAF joue un rôle majeur dans de nombreux processus vitaux pour l’entreprise. Et se mettre en position de veille active lui permet de le renforcer encore. Prenez les impayés. Vous pouvez prendre des abonnements à des fichiers qui produisent les bilans financiers de vos débiteurs, comme ceux de la Coface. Nécessaire, mais pas suffisant !
L’important est de savoir ce qui va se passer, pas ce qui est déjà inscrit dans les bilans. Nous avons eu dans notre entreprise l’exemple d’un collaborateur qui a surpris une discussion plutôt musclée entre un artisan et l’un de nos débiteurs, devant les locaux de ce dernier. Renseignements pris discrètement, il s’agissait d’impayés qui s’accumulaient. Nous avons donc mis en veilleuse plusieurs projets avec ce partenaire, qui a déposé le bilan quelques mois plus tard.
Prévoir l’avenir n’est pas facile, d’accord. Mais si vous savez par exemple qu’en moyenne un devis sur deux est accepté par vos clients, n’est-il pas intéressant de déplacer le curseur et de surveiller la production de devis, plutôt que le seul carnet de commandes ? Et s’il est vrai que la santé d’une R&D se mesure au nombre de brevets déposés, n’est-il pas légitime de se demander, en collaboration avec les études, quelle sont leurs vraies valeurs, notamment en vérifiant l’existence de brevets proches ?
Encore un autre exemple : le séisme puis le tsunami au Japon… Je n’ai certes pas de recette pour prévoir de tels évènements. En revanche, nous avons très vite analysé notre dépendance aux fournisseurs japonais, puis fait des choix de sourcing qui nous en libèrent. Dans tous ces cas, le DAF est une véritable plaque tournante de l’information utile. Mais il faut qu’il accepte de compléter ses analyses traditionnelles. A la limite, le DAF offensif se caractérise surtout par sa capacité à produire de nouveaux indicateurs intelligents !
New-CFO : La tâche parait tout de même colossale et, en tous cas, protéiforme. Peut-on se former à l’intelligence économique quand on est DAF ?
Pierre-Larrat-Intelligence-économiquePierre Larrat : Il faut bien reconnaître que les formations spécifiques pour ces professionnels sont rares, sauf à un niveau sensibilisation. Les cursus approfondis concernent plutôt la guerre économique ou la veille technologique. Mais ce serait très positif que les DAF se voient proposer une solution, car ils deviennent incontournables dans ces stratégies éminemment transverses.
Les CFO peuvent tout de même aujourd’hui s’appuyer sur quelques bonnes pratiques avérées. D’abord, bien se persuader que pour se différencier dans une entreprise, il faut contribuer à lui donner de l’avance. Ensuite positionner les capteurs – outils, collaborateurs, accès à l’information disponible. Et enfin, faire vivre cette stratégie. Les dirigeants se montrent souvent surpris de son effet mobilisateur sur les collaborateurs, y compris sans rémunération spécifique. L’important réside plus dans la reconnaissance faite à l’utilité d’une information, dans l’usage qui en découle, par exemple lorsqu’elle aboutit à la sortie d’un produit ou à une prise de décision. A l’inverse, il faudra bien faire comprendre que la rétention des informations importantes, en un réflexe passéiste qui associe la puissance à la détention de secrets, est passée de mode, justement !
(*) Diplômé de gestion et d’informatique, Pierre Larrat a débuté dans le conseil avant d’enseigner et de créer, à la demande de l’ESCEM de Tours, la structure Atelis qui permet aux étudiants de l’école de commerce de se frotter au terrain de l’intelligence économique, au profit de PME régionales. Depuis 2007, il est retourné sur le terrain en prenant la direction générale du Groupe d’électronique HAP (80 personnes), qui s’est récemment illustré en se diversifiant avec succès dans les énergies renouvelables.
(**) Benchmark européen de pratiques en intelligence économique, éditions L’Harmattan

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