lundi 16 janvier 2012

La perte du rating AAA pour la France et ses effets



Par Olivier ELUERE
Etudes économiques crédit agricole N°1/2012 – 16 janvier 2012 2


  •  L’agence Standard and Poor’s a annoncé le vendredi 13 janvier 2012 qu’elle dégradait d’un cran la notation de 5 pays de la zone euro (la France, l’Autriche, l’autre AAA à être dégradé, Malte, la Slovaquie et la Slovénie), et de deux crans celle de quatre autres pays (l’Italie, le Portugal, l’Espagne et Chypre).



  •  De surcroît, pour tous les pays de la zone euro (sauf l’Allemagne et la Slovaquie) la note est assortie d’une perspective négative, ce qui peut ouvrir la voie à de nouvelles dégradations dans les mois à venir. Il ne s’agit donc pas d’une dégradation de la France mais plutôt d’une dégradation de l’ensemble de la zone euro.

  •  L’agence explique principalement ces dégradations par les insuffisances des plans européens, axés autour de la rigueur budgétaire. Il n’y aurait pas assez de flexibilité dans les mécanismes d’aide. En même temps, les réformes doivent porter sur le soutien à la compétitivité et la croissance.

  • Cette décision arrive à un moment où des premiers signes de stabilisation semblaient se dessiner, avec une détente généralisée des primes de risque sur les souverains fragiles. Dans ce contexte, la France et l’Autriche peuvent apparaître comme les deux grands perdants, en décrochant de l’Allemagne, qui est un des rares pays aux côtés des Pays-Bas, de la Finlande et du Luxembourg à conserver le meilleure note possible et le seul AAA à garder une perspective stable.

  •  Les marchés avaient déjà intégré cette menace de dégradation, du moins en partie, si bien que la réaction ne devrait pas être intempestive. Mais il s’agit surtout de ne pas oublier le message de politique économique envoyé par l’agence en matière de soutien à la croissance de chaque pays et de gouvernance de la zone : la rigueur budgétaire ne suffit pas.

  •  Cet abaissement de note devrait être synonyme de taux longs durablement plus élevés, ce qui va peser sur la charge de la dette et sur les équilibres budgétaires. La France dispose de marges de manoeuvre budgétaires suffisantes pour absorber ces hausses de coûts avec des effets sur la conjoncture qui devraient rester relativement limités, mais les marges de manoeuvre sont étroites.

Pourquoi la France a-t-elle perdu son triple A ?

Standard and Poor’s avance cinq principales raisons :
- Pour la zone euro : le manque de cohérence et d’unité au niveau des gouvernements européens pour résoudre la crise et renforcer la convergence économique et budgétaire au sein de la zone euro.
- Pour la France, la hausse significative du spread entre OAT et Bunds : 150 pb en novembre et 120 pb en décembre contre 38 bp en moyenne au premier semestre,
- les risques de resserrement du crédit,
- le risque de récession économique,
- le niveau élevé des dettes publiques et privées.

Moody’s (qui maintient la note de la France) avance des points d‘inquiétudes comparables :

- ratio de dette publique sur PIB, prévu à 87,5 % en 2012, nettement supérieur à ceux des autres pays triple A de la zone euro : Allemagne (81 %), Pays-Bas (65 %), Finlande (50 %). Déficit public élevé, 4,5 % du PIB en 2012 contre 3,2 % dans l’ensemble de la zone euro ; déficit structurel important, même s’il est censé se réduire, 5,2 % en 2010, 3,8 % en 2011, 2,6 % en 2012,

- poids des dépenses publiques le plus élevé d’Europe, 57 % du PIB,

- conjoncture économique fragile et prévision officielle trop optimiste,

- risques liés à une remontée durable des taux des OAT,

- inquiétudes sur la capacité de la France à maintenir une croissance potentielle suffisante pour financer son modèle social.

Plus profondément, comme dans la plupart des pays européens, les marchés financiers et les agences de notation semblent craindre que la France ne s’installe dans une spirale négative : endettement élevé ; plans de rigueur successifs pour réduire rapidement le déficit budgétaire structurel ; net affaiblissement de la croissance ; dégradation des soldes budgétaires conjoncturels ; remontée des taux obligataires ; nécessité de mettre en place de nouvelles mesures de rigueur, etc. Selon Standard and Poor’s, les mesures de rigueur doivent être accompagnées de réformes structurelles permettant de renforcer la compétitivité et la croissance potentielle. Or on sait que ces mesures structurelles ont toujours un effet à court terme négatif (courbe en J), notamment en matière d’emploi.

Une décision sévère en partie injustifiée

Il est clair que l’endettement public de la France est très élevé et que son déficit public se réduit plus lentement que chez nos principaux partenaires.
Mais le jugement des agences semble sévère et aurait pu être tempéré par les éléments suivants :

- Le ciblage des mesures d’assainissement budgétaire permet un impact limité sur l’activité et la spirale négative redoutée par les marchés a peu de chance de se matérialiser. L’impact d’une baisse d’un point de PIB du déficit structurel est estimé à une diminution de 0,5 % du taux de croissance du PIB. Les mesures de rigueur programmées en 2011 et 2012 sont significatives, atteignant 3 points de réduction du déficit structurel sur deux ans. Mais elles ont été ciblées de façon à ne pas trop affecter la conjoncture. Ainsi, il n’y a pas de hausse du taux principal de TVA (19,6 %), mais hausse du taux réduit (de 5,5 % à 7 %), et sur un petit nombre de produits. Les mesures fiscales (désindexation de l’impôt sur le revenu et de l’ISF, prélèvement libératoire accru pour les dividendes et intérêts, hausse de la CSG sur les revenus du capital, taxation accrue des plus-values immobilières…) concernent surtout les ménages les plus aisés, les revenus du capital et les patrimoines. Elles touchent peu les revenus moyens et modestes, qui ont la propension à consommer la plus élevée.

- Le net ralentissement conjoncturel actuel ne remettra pas en cause l’objectif de déficit 2012. La croissance française va nettement ralentir en 2012, 0,2 % en moyenne, avec une récession technique (T4 2011-T1 2012). Comme vu plus haut, ceci n’est que marginalement lié aux mesures d’assainissement budgétaire et s’explique avant tout par la forte dégradation du contexte économique et financier mondial (fragilité de la reprise américaine, crise des dettes souveraines en Europe, net ralentissement de nos partenaires européens) qui conduit à une chute de la confiance des entreprises et des ménages, à des difficultés de financement, à un net ralentissement de l’investissement et à une remontée du chômage. La prévision officielle pour 2012, 1 %, est donc trop optimiste. Mais le gouvernement a répété qu’au cas où la croissance serait plus faible que prévu, de nouvelles économies seraient mises en place pour respecter l’objectif de 4,5 % pour le déficit 2012. Une croissance de 0,2 % (et non 1 %) exigerait ainsi 8 milliards d’économies supplémentaires. Ceci serait en bonne partie fourni par un recours aux crédits budgétaires mis en réserve (6 milliards). Au-delà, la France dispose de marges de manoeuvre importantes en matière de niches fiscales et plus encore de dépenses publiques pour opérer ces économies (poids très élevé des dépenses publiques dans le PIB, 57 % en 2010).

- La France souffre certes de faiblesses structurelles : taux de prélèvements obligatoires élevé (particulièrement pour les cotisations sociales employeurs) ; poids des réglementations de l’Etat, notamment en matière de marché du travail ; compétitivité prix et qualité insuffisante ; fragilité des PME, qui souffrent pour la plupart d’une taille et d’une solidité financière insuffisante. Mais elle dispose aussi de nombreux fondamentaux positifs (soulignés d’ailleurs par S&P) : qualité des infrastructures de transport,
Olivier ELUERE
olivier.eluere@credit-agricole-sa.fr
N°1/2012 – 16 janvier 2012 3
logistique, télécommunication, santé, éducation ; qualité de la main-d’oeuvre et productivité horaire élevée ; entreprises performantes dans certains secteurs : aéronautique, ferroviaire, nucléaire, armement, agroalimentaire, luxe ; taux d’épargne des ménages élevé et endettement privé non excessif, contrairement à la plupart de nos partenaires.

Impact négatif mais modéré sur l’activité

- Remontée des taux obligataires. La dégradation de la notation devrait a priori se traduire par une hausse de la prime de risque exigée par les investisseurs. Le spread OAT-Bunds risque ainsi de s’accroître, même si son niveau actuel (130 pb) reflète déjà les effets de cette perte du triple A. Ceci affectera les déficits publics, mais de manière limitée. Une hausse de 100 bp du taux OAT alourdit la charge de la dette publique de 2 mds environ la première année, soit 0,1 % du PIB (et 4 mds la seconde année, 0,2 % du PIB). Cet alourdissement du déficit s’ajouterait à celui lié au ralentissement conjoncturel, de nouvelles économies seraient donc nécessaires. Mais comme on l’a vu plus haut, ceci resterait gérable grâce aux marges de manoeuvre dont dispose la France. Il faut également souligner que si la tendance des taux est haussière, leur niveau n’en reste pas moins historiquement faible (autour de 3% contre 4,10% en moyenne sur la période 2000-2011.

- Risque de dégradation du rating d’un certain nombre d’organismes publics, mais aussi d’entreprises et d’institutions de crédit. Ceci pourrait accentuer le risque de resserrement des conditions de crédit. Ce resserrement se traduirait par une plus grande sélectivité et une remontée des taux de crédit, qui renforcerait le freinage des dépenses d’investissement et la correction en cours du marché immobilier. Il faut rajouter à ce stade les effets négatifs en chaine liés à la dégradation de la conjoncture et à la remontée des taux longs dans la plupart des pays européens.

- Nouvelles mesures visant à renforcer la compétitivité de la France. Face à la nécessité de rassurer les investisseurs et de respecter les objectifs de déficits en redressant la conjoncture, la priorité doit être plus que jamais donnée à des mesures à même de renforcer la compétitivité (prix et qualité) de l’économie française. De nouvelles réformes devraient être lancées ces prochaines semaines, notamment la mise en place d’une « TVA sociale » (dont le contenu est à préciser) avec baisse des cotisations employeurs. Cette mesure ne permettra pas forcément un rebond à court terme de la conjoncture (hausse de l’inflation importée) mais devrait contribuer à restaurer la compétitivité, les profits des entreprises et la croissance à moyen terme.

Au total, cette dégradation de l’essentiel de la zone euro, plus que de la seule France conduit certes à des efforts, mais aussi à leur partage, impliquant notamment l’Allemagne et la BCE, et dans le cadre français, à des réformes, à discuter et à débattre. 

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